• Corpus sur les fonctions du poète et de la poésie

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    Voici un ensemble de poèmes du XVIème siècle au XXIème siècle (recopiés ci-dessous. Lisez-les attentivement et répondez aux questions suivantes : 

    Questions sur le corpus

     1. Pour chaque poème, identifiez la forme du poème, le type de strophe, le type de vers (voir manuel Bordas p. 233 et 235)

     2. Quels sont les auteurs qui expriment leur vision du poète ? Précisez la conception du poète de chacun de ces auteurs.

     3. En quoi le texte de Ponge est-il un poème ?

     4. A partir de ce corpus, qu'est-ce qui fait la valeur de la poésie ?

     

    1. Clément Marot « Petite épître au roi », Les Epîtres, 1518

    En m'ébattant je fais rondeaux en rime,
    Et en rimant bien souvent, je m'enrime ;
    Bref, c'est pitié d'entre nous rimailleurs,
    Car vous trouvez assez de rime ailleurs,
    Et quand vous plait, mieux que moi rimassez,
    Des biens avez et de la rime assez :
    Mais moi, à tout ma rime et ma rimaille,
    Je ne soutiens (dont je suis marri) maille.
    Or ce me dit (un jour quelque rimart)
    « Vien ça, Marot, trouves tu en rime art
    Qui serve aux gens, toi qui as rimassé ?
    - Oui vraiment, réponds-je, Henry Macé ;
    Car, vois-tu bien, la personne rimante
    Qui va au jardin de son sens la rime ente,
    Si elle n'a des biens en rimoyant,
    Elle prendra plaisir en rime oyant.
    Et m'est avis, qui si je ne rimois,
    Mon pauvre corps ne serait nourri mois,
    Ne demi-jour. Car la moindre rimette,
    C'est le plaisir, où faut que mon ris mette. »
    Si vous supplie, qu'à ce jeune rimeur
    Fassiez avoir par sa rime heur,
    Affin qu'on dise, en prose ou en rimant ;
    « Ce rimailleur, qui s'allait enrimant,
    Tant rimassa, rima et rimonna,
    Qu'il a connu quel bien par rime on a. »


    2. Victor Hugo, extrait de Les Rayons et les Ombres, 1840

    Peuples ! écoutez le poète !
    Écoutez le rêveur sacré !
    Dans votre nuit, sans lui complète,
    Lui seul a le front éclairé.
    Des temps futurs perçant les ombres,
    Lui seul distingue en leurs flancs sombres
    Le germe qui n’est pas éclos.
    Homme, il est doux comme une femme.
    Dieu parle à voix basse à son âme
    Comme aux forêts et comme aux flots. […]

     

    3. Charles Baudelaire, « Les fenêtres », Petits Poèmes en prose, édition posthume 1869.

      Celui qui regarde du dehors à travers une fenêtre ouverte, ne voit jamais autant de choses que celui qui regarde une fenêtre fermée. Il n'est pas d'objet plus profond, plus mystérieux, plus fécond, plus ténébreux, plus éblouissant qu'une fenêtre éclairée d'une chandelle. Ce qu'on peut voir au soleil est toujours moins intéressant que ce qui se passe derrière une vitre. Dans ce trou noir ou lumineux vit la vie, rêve la vie, souffre la vie.
      Par-delà des vagues de toits, j'aperçois une femme mûre, ridée déjà, pauvre, toujours penchée sur quelque chose, et qui ne sort jamais. Avec son visage, avec son vêtement, avec son geste, avec presque rien, j'ai refait l'histoire de cette femme, ou plutôt sa légende, et quelquefois je me la raconte à moi-même en pleurant.
      Si c'eût été un pauvre vieux homme, j'aurais refait la sienne tout aussi aisément.
      Et je me couche, fier d'avoir vécu et souffert dans d'autres que moi-même.
      Peut-être me direz-vous : « Es-tu sûr que cette légende soit la vraie? » Qu'importe ce que peut être la réalité placée hors de moi, si elle m'a aidé à vivre, à sentir que je suis et ce que je suis ?


    4. Francis Ponge, "Le pain", Le Parti pris des choses., 1942

      La surface du pain est merveilleuse d'abord à cause de cette impression quasi panoramique qu'elle donne : comme si l'on avait à disposition sous la main les Alpes, le Taurus ou la Cordillère des Andes. 

      Ainsi donc une masse amorphe en train d'éructer fut glissée pour nous dans le four stellaire, où durcissant elle s'est façonnée en vallées, crêtes, ondulations, crevasses... Et tous ces plans dès lors si nettement articulés, ces dalles minces où la lumière avec application couche ses feux, sans un regard pour la mollesse ignoble sous-jacente.

      Ce lâche et froid sous-sol que l'on nomme la mie a son tissu pareil à celui des éponges : feuilles ou fleurs y sont comme des sœurs siamoises soudées par tous les coudes à la fois.

      Lorsque le pain rassit ces fleurs fanent et se rétrécissent : elles se détachent alors les unes des autres, et la masse en devient friable...

      Mais brisons-la : car le pain doit être dans notre bouche moins objet de respect que de consommation.

     

    5. Raymond Queneau, extrait de Pour un art poétique, 1948

    Prenez un mot prenez en deux
    faites les cuir' comme des oeufs

    prenez un petit bout de sens
    puis un grand morceau d'innocence
    faites chauffer à petit feu
    au petit feu de la technique
    versez la sauce énigmatique
    saupoudrez de quelques étoiles
    poivrez et mettez les voiles
    Où voulez vous donc en venir ? 
    A écrire Vraiment ? A écrire ? 

     

     6. Louis Aragon, « Strophes pour se souvenir », Le Roman inachevé, 1956


    Vous n'avez réclamé la gloire ni les larmes 

    Ni l'orgue ni la prière aux agonisants 

    Onze ans déjà que cela passe vite onze ans 

    Vous vous étiez servi simplement de vos armes 

    La mort n'éblouit pas les yeux des Partisans 


    Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes 

    Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants 

    L'affiche qui semblait une tache de sang 

    Parce qu'à prononcer vos noms sont difficiles 

    Y cherchait un effet de peur sur les passants 


    Nul ne semblait vous voir français de préférence 

    Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant 

    Mais à l'heure du couvre-feu des doigts errants 

    Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE 

    Et les mornes matins en étaient différents 


    Tout avait la couleur uniforme du givre 

    À la fin février pour vos derniers moments 

    Et c'est alors que l'un de vous dit calmement 

    Bonheur à tous Bonheur à ceux qui vont survivre 

    Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand 


    Adieu la peine et le plaisir Adieu les roses

     Adieu la vie adieu la lumière et le vent 

    Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent 

    Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses 

    Quand tout sera fini plus tard en Erivan 


    Un grand soleil d'hiver éclaire la colline 

    Que la nature est belle et que le coeur me fend 

    La justice viendra sur nos pas triomphants 

    Ma Mélinée ô mon amour mon orpheline 

    Et je te dis de vivre et d'avoir un enfant 


    Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent 

    Vingt et trois qui donnaient leur coeur avant le temps 

    Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant 

    Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir 

    Vingt et trois qui criaient la France en s'abattant.

     

    7. Alain Bosquet, « Passage d’un poète »,  Un jour après la vie, 1984

     

    Le poète est passé : un remous dans l'argile

                se dresse en monument,

    avec soudain le bras qui se profile,

                la lèvre et l'oeil aimants.

     

    Le poète est passé : le ruisseau qui hésite,

                devient fleuve royal ;

    il n'a plus de repos ni de limites ;

                il ressemble au cheval.

     

    Le poète est passé : au milieu du silence

                s'organise un concert,

    comme un lilas ; une pensée se pense,

                le monde s'est ouvert.

     

    Le poète est passé : un océan consume

                ses bateaux endormis.

    La plage est d'or et tous les ors s'allument

                pour s'offrir aux amis.

     

    Le poète est passé : il n'est plus de délire

                qui ne soit oeuvre d'art.

    Le vieux corbeau devient un oiseau-lyre.

                Il n'est jamais trop tard

     

    pour vivre quinze fois : si le poète hirsute

                repasse avant l'été,

    consultez-le car de chaque minute

                il fait l'éternité.

     

    8. Baudelaire, L'albatros, Les Fleurs du Mal, 1857

     

     Souvent, pour s'amuser, les hommes d'équipage 

    Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers, 

    Qui suivent, indolents compagnons de voyage, 

    Le navire glissant sur les gouffres amers. 

     

     A peine les ont-ils déposés sur les planches, 

    Que ces rois de l'azur, maladroits et honteux, 

    Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches 

    Comme des avirons traîner à côté d'eux. 

     

     Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule ! 

    Lui, naguère si beau, qu'il est comique et laid ! 

    L'un agace son bec avec un brûle-gueule, 

    L'autre mime, en boitant, l'infirme qui volait ! 

     

    Le Poète est semblable au prince des nuées 

    Qui hante la tempête et se rit de l'archer ; 

    Exilé sur le sol au milieu des huées, 

    Ses ailes de géant l'empêchent de marcher. 


    9. Jacques Roubaud, Le lombric, Les Animaux de tout le monde, 2004 


    Dans la nuit parfumée aux herbes de Provence,

    le lombric se réveille et bâille sous le sol,

    étirant ses anneaux au sein des mottes molles

    il les mâche, digère et fore avec conscience.


    il travaille, il laboure en vrai lombric de France

    comme, avant lui, ses père et grand-père ; son rôle,

    il le connaît. Il meurt. La terre prend l'obole

    de son corps. Aérée, elle reprend confiance.


    Le poète, vois-tu, est comme un ver de terre

    il laboure les mots, qui sont comme un grand champ

    où les hommes récoltent les denrées langagières;


    mais la terre s'épuise à l'effort incessant !

    sans le poète lombric et l'air qu'il lui apporte

    le monde étoufferait sous les paroles mortes.

     
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